Jean Spinette



Ce 8 juillet, les CPAS fêtent leurs 40 ans. CPAS: la crise de la quarantaine?

Ce 8 juillet 2016, les CPAS fêtent leur 40 années depuis la création des Centres publics d’aide sociale tels qu’institués par la Loi organique de 1976.
Les CPAS ont ainsi pour mission de « garantir à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine » en dispensant « l’aide due par la collectivité ».
C’est l’occasion de prendre du recul et de nous interroger sur le sens de notre action et sur les principes qui doivent fondamentalement guider celle-ci.

CPAS: la crise de la quarantaine? Cartes blanches vendredi 8 juillet 2016, 16h13

Créés en 1976, les Centres publics d’action sociale croulent sous les dossiers, les nouvelles réglementations et les demandes d’intervention en tous sens. Ce plaidoyer est un appel à l’audace, une exhortation pour la défense d’un Etat social inclusif qui rende les plus fragiles acteurs de leur propre émancipation.

Ce 8 juillet, les CPAS fêtent leurs 40 ans. Le nez dans le guidon, nous avions failli l’oublier. Exclusions du chômage, non recours, crise des réfugiés, fusion commune/CPAS, dossier social électronique, secret professionnel, projet individualisé d’intégration sociale généralisé : ce que nous vivons c’est la « crise de la quarantaine », celle qui nous fait courir partout presqu’au point de nous faire oublier qui nous sommes.

L’attitude adéquate à adopter me semble dès lors être celle-ci : prenons du recul, observons un instant le cours qu’a pris cette institution et posons-nous la seule et unique question qui vaille vraiment le coup : quel est le sens de notre action ? quels sont les principes qui doivent fondamentalement guider celle-ci ?

Ce 8 juillet 2016, nous pourrons compter 40 années passées depuis la création des Centres publics d’aide sociale tels qu’institués par la Loi organique de 1976. Cet organe public s’inscrit alors dans la foulée de l’instauration d’un minimum de revenu d’existence (Minimex, 1974) visant à garantir, en droit, de quoi couvrir les besoins de première nécessité.

Les CPAS ont ainsi pour mission de « garantir à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine » en dispensant « l’aide due par la collectivité ». Cette aide est « non seulement palliative ou curative, mais encore une aide préventive (…) qui encourage la participation sociale des usagers. Cette aide peut être matérielle, sociale, médicale, médico-sociale ou psychologique. »

Enfin, c’est dans le respect des convictions idéologiques, philosophiques ou religieuses des intéressés que le CPAS remplit sa mission en suivant les méthodes de travail social les plus adaptées ». Le CPAS « assure, en respectant le libre choix de l’intéressé, la guidance psychosociale morale ou éducative nécessaire à la personne aidée pour lui permettre de vaincre elle-même ses difficultés ».
Un projet émancipateur

Ce texte revendique une aide globale et un projet émancipateur qu’il convient aujourd’hui encore de garder à l’esprit. C’est la loi organique de 1976.

S’observe ainsi une évolution dans le rapport à la pauvreté où l’assistance et la charité laissent place à une nouvelle approche. D’une part, le législateur poursuit sa volonté de dépasser le caractère arbitraire, discrétionnaire et paternaliste qui prévalait aux CAP de 1925 (Commissions d’assistance publique). L’instauration des CPAS consacre ainsi « un droit subjectif qui tend vers l’universalisation d’un droit à l’aide sociale ». L’aide sociale est devenue un droit exigible. D’autre part, la mission des CPAS n’est plus seulement palliative, l’intervention publique peut être plus large : préventive, collective et communautaire. Au-delà de l’aide sociale financière s’ajoute une série d’autres initiatives que nous connaissons aujourd’hui : l’aide médicale, les cartes médicales, les aides loyers, la constitution de garantie locative, les aides gaz-électricité, la médiation de dette, l’aide alimentaire, etc.

Les CPAS sont acteurs dans presque tous les secteurs de l’action sociale : les hôpitaux, les maisons d’accueil, l’aide à la jeunesse, les crèches, les maisons de repos MR-MRS, les services de soins à domicile pour le troisième âge, l’insertion socioprofessionnelle, l’économie sociale etc.

Aujourd’hui, si l’on fait le bilan, il apparaît qu’on n’aura jamais autant parlé des CPAS que ces temps-ci.

Les CPAS couvrent la fraude sociale, nous dit-on. Et le contrôle sur la gestion des CPAS et les modes d’octroi des aides ne cesse de s’accroître. A observer les chiffres, la fraude sociale n’a pourtant pas l’ampleur qu’on veut lui prêter. Jusqu’ici, le contrôle n’aura servi qu’à alourdir la charge administrative du CPAS au détriment de son public, ou qu’à peser sur l’esprit de ces travailleurs vivant dans la crainte de n’avoir pas respecté un ensemble de règles de plus en plus complexes, et encore au détriment des citoyens qui se présentent à eux. Le contrôle de l’éligibilité du droit se substitue progressivement à l’aide sociale elle-même. Dans l’intervalle, l’enquête sociale bien menée avec l’aide adaptée et un accompagnement de qualité aurait bien mieux prévenu ces fameux risques de fraude. Laisser nous faire notre métier !
Il est temps d’en prendre la mesure

Les CPAS n’assurent pas suffisamment l’accès aux soins de santé de première ligne, nous dit-on. La prise en charge par les CPAS des frais liés aux soins de santé, elle, ne cesse de croître. Et dans ce contexte, l’enquête sociale pour récupérer les frais de l’aide médicale urgente auprès du fédéral, doit être sans cesse plus complète. Nous sommes les premiers à demander une meilleure prise en charge des soins de santé mais la tendance est inverse. Nous sommes dès lors chaque jour appelés à compenser au niveau local une couverture jugée – à juste titre – nécessaire par les médecins. Au-delà de l’aide individuelle, il en va de la santé publique, d’un devoir humanitaire. Il est temps d’en prendre la mesure.

Qu’engagent ces critiques venant de toutes parts sinon une mise en étau serré des CPAS ? Ceux-ci sont en effet pointés du doigt comme trop dépensiers, inconséquents ou clientélistes ; ils subissent une pression et un contrôle accru qui les empêchent de remplir convenablement leur mission. La crise financière, les exclusions du chômage et la récente crise des réfugiés n’ont pourtant fait qu’augmenter leur charge. Dans le même temps, ils sont décriés comme n’offrant pas l’aide sociale suffisante, adoptant des conduites trop strictes, pas suffisamment humaines. L’action publique est ainsi doublement dénoncée, elle serait responsable du coût sociétal de son intervention mais également des limites de son action.

Voilà la crise de la quarantaine, celle qui fait peser sur les épaules des centres publics de plus en plus d’obligations dans un temps où l’économie de moyens est le credo. C’est le spectacle du détricotage des acquis sociaux où le paradigme de l’État social actif tend à remplacer le modèle solidariste ; le temps où les plus démunis sont montrés comme des charges, responsables de leur condition et paresseux ; le temps où l’on considère le coût des CPAS comme des « déficits » plutôt que comme des « soldes à financer pour action sociale ». Car soyons clairs : ce ne sont ni les CPAS, ni les citoyens qui coûtent chers, ce sont les conséquences de la crise financière et des transferts de charge.
Il est temps de remobiliser

Mais il n’y a de crise sans mutation.

S’il y a crise de la quarantaine, il est temps de se remobiliser.

Je reste convaincu de la pertinence de l’outil pour peu qu’il puisse prendre un autre cap.

1. Les CPAS doivent résolument être le bras armé de l’action sociale, une cavalerie légère, un outil souple et adaptatif au service de nos concitoyens les plus fragilisés.

2. L’aide sociale en général, doit être le lieu de convergence des expériences des milieux publics et associatifs, comme cela a d’ailleurs souvent été le cas au cours des années. Il est grand temps pour la politique et les pouvoirs publics d’intégrer de nouveaux modes de prise de décision, basés sur la concertation et la participation qui débouchent sur des décisions collectives. Il en va de la légitimité démocratique. Pour cela, il est nécessaire d’organiser le financement de la recherche-action au sein des CPAS en impliquant, au travers de leur coordination sociale, l’associatif comme un merveilleux laboratoire du social. Le travail collaboratif en réseau a déjà montré ses fruits et certainement en matière d’innovation sociale.

3. L’aide sociale publique doit connaître un autre sort : voir ses moyens mis à contribution des véritables missions qu’elle doit remplir ; disposer du temps nécessaire pour les accomplir ; être positivement et largement expliquée pour que l’octroi des services qu’elle met en place soient le plus largement garantis ; n’avoir pour seul soucis que de parvenir à élaborer de véritables itinéraires d’inclusion sociale où l’accompagnement individuel pourra être suivi d’une approche collective puis communautaire ce qui confère à cette aide individuelle un véritable sens social commun.

C’est la raison pour laquelle ce plaidoyer est un appel à l’audace, une exhortation pour la défense d’un Etat social inclusif qui rende les plus fragiles acteurs de leur propre émancipation.

Il rappelle enfin qu’une action efficace vise les causes et pas uniquement les effets : les facteurs de reproduction des inégalités doivent être traités en amont.

Une lettre ouverte pour réinvestir l’enjeu démocratique au départ des publics les plus fragilisés et de la plus petite institution publique née sous sa forme actuelle en 1976.

Bon anniversaire quand même aux CPAS et à ceux qui les font vivre.

Jean Spinette, président du CPAS de Saint-Gilles et coprésident de la Fédération des 19 CPAS bruxellois.