Jean Spinette



Femmes, précarités et pauvreté..

Albert Eylenbosch, président du CPAS de Saint-Gilles de 1977 à 1995 qui présida également la conférence des 19 CPAS bruxellois, faisait déjà le constat au cœur des années 80 que les femmes était souvent les premières victimes de la crise économique.

La question n’est malheureusement pas neuve. Si nous n’utilisions pas encore le vocable « problématique genrée », la réalité n’en était pas pour autant moins criante. Il convient de dire que la réalité en milieu populaire n’est pas vraiment différente aujourd’hui.

Aux femmes militantes enseignantes qui cherchaient à s’impliquer après avoir été prématurément écartées dans le cadre des restrictions dans l’enseignement du milieu des années 90, il proposa d’œuvrer à l’accompagnement des personnes en situation de pauvreté et en particulier les femmes dans leur démarches administratives afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits et qu’elles puissent accomplir leur obligations. Ce sont ces mêmes femmes qui donnèrent plus tard naissance à l’asbl aiguillage (le service laïque d’accompagnement administratif).

Le constat est connu mais au regard du droit à l’intégration sociale développé au début des années 2000, il faut reconnaitre que même si ce droit est traité spécifiquement « en équité » le CPAS apprécie souvent la disposition au travail à l’une des contraintes liés aux charges de famille de nombre de femmes qui souvent assument seules leurs enfants (qu’elles soient en ménage ou seule) en devant poursuivre un projet professionnel.

Il s’agit d’une tendance lourde malgré les efforts déployés depuis des années pour ouvrir de places spécifiques en crèches et pour permettre la formation et l’insertion professionnelle des femmes. En effet dans un contexte de pénurie de places la chose n’est pas aisée, et elle l’est malheureusement encore moins avec une croissance importante de la monoparentalité.

Lorsque nous échangeons avec les travailleurs sociaux, ou même lors de rencontres directes avec nos usagers, force est de constater que le déterminisme, le conformisme ainsi qu’une répartition très typée des rôles sont encore fort présents sur les projets de vie des femmes.

Même lorsque les enfants ont grandis, la contrainte est tellement intégrée qu’il faut faire un réel travail de conviction pour amener de trop nombreuses femmes à s’autoriser à s’occuper d’elles-mêmes, à envisager une formation, ou même songer à travailler aux postes traditionnellement perçus comme masculins.. Même en étant attentifs à cet aspect des choses, il est difficile de contraindre là où il faudrait une prise de conscience des femmes elles-mêmes.

Le corps des travailleurs sociaux majoritairement composé de femmes peu suspectes d’une conception machiste de la répartition des rôles doit ramer à contre courant pour des résultats encore timides. Un vrai travail individuel pied à pied est nécessaire. Mais peut être faudrait-il développer plus encore un travail collectif afin de susciter l’envie par le « récit de vie » des femmes qui ont eu l’opportunité de tracer leur sillon. Enfin un vrai travail communautaire reste encore massivement à faire si l’on veut espérer pouvoir changer les mentalités et la perception de la femme dans le champ du travail. Il s’agit véritablement ni plus ni moins de lutter contre une sorte de résignation.

Le chemin est encore long et parsemé d’embûches lorsque l’on sait que de nombreuses femmes devront passer par les fourches caudines des cours de d’alpha ou de FLE de mise à niveau, de formation ou d’insertion professionnelle voir les trois.

De plus il s’avère toujours nécessaire de garantir au préalable le projet de stabilisation de la situation psychosociale de l’usagère, de régler la problématique du logement, de résoudre des situations de surendettements avant de pouvoir penser à se lancer dans la recherche d’un emploi.

Le parcours est long et sa mise en route est souvent entamée à la trentaine, si pas au tournant de la quarantaine. Les programmes visant à renforcer l’emploi des jeunes leur sont souvent fermés. Autant dire qu’une fois mobilisées, nombreuses sont les femmes qui voudront se rabattre sur des professions plus accessible afin de pouvoir rentrer directement dans le monde du travail. Cette voie sera souvent privilégiée, même par celles porteuses d’un diplôme.

L’aide sociale, le chômage, le temps partiel, les titres services restent souvent leur seul horizon comme expédiant jusqu’à la cinquantaine, qui elle, leur fermera de nombreuses portes vu l’usure physique liées aux tâches offertes et à l’éloignement professionnel. Ces phénomènes sont également liés aux changements del la société contemporaine qui marque une certaine préférence pour la jeunesse , phénomène qui frappe encore plus durement les femmes.

Un véritable travail peut pourtant être entrepris dans une véritable définition de projet et un suivi au cours du parcours pour conduire un nombre estimable de femmes à l’insertion professionnelle assortie d’une formation. C’est le credo de nos services d’insertions professionnelles de CPAS.

Malheureusement il faut en convenir sans qu’il s’agisse d’un public cible soutenu par un financement spécifique. Il s’agit d’un vrai travail de longue haleine loin des résultats quantifiables par grandes cohortes statistiques tellement appréciées par les évaluateurs des programmes européens. Ce travail, lorsqu’il est réalisé, donne lieu à des réussites qualitatives particulièrement belles. Et ce sont ces vécus là qu’il faut mettre en avant, non pas comme un paravent chinois à une dure réalité mais comme un témoignage qu’un autre chemin est possible.

Les profils sont nombreux, les parcours également et l’expérience de nos services nous montre que les outils d’intégration socioprofessionnel dont disposent les CPAS, notamment par le billet de la mesure « article 60 » de la Loi Organique de 1976, permettent souvent d’ouvrir une première période qui même à durée déterminée est une première occasion pour nombre de nos usagers de faire preuve de leur qualité dans un panel de professions de plus en plus diversifié. L’objectif est celui de dépasser les stéréotypes professionnels qui mènent l’homme au pinceau, au marteau et au balai, et qui conduisent la femme au torchon, à la casserole et au linge.

Jean Spinette